La flore du Cap de la Vella (Vieille)
Présentation du site.
Après plus de 200 km de côte plate agrémentée de quelques pitons calcaires (Leucate) ou basaltiques (Agde) et bordée de cordons littoraux (lidos) qui génèrent un chapelet de lagunes, le contraste est saisissant avec la « Côte Vermeille » au rivage rocheux très découpé et souvent escarpé. Il s'agit en effet de la limite Est des Pyrénées, les Albères, qui plonge dans la mer Méditerranée. Les Pyrénées sont une formation du Tertiaire mais elles présentent dans leur zone axiale des terrains du Primaire cambriens et antécambriens. Ainsi les Albères sont constituées de gneis et de micaschistes métamorphisés et plissés. La structure litée du substrat facilite l'érosion des roches côtières soumises à l'influence marine.
Ce littoral est soumis à une sécheresse intense en été, aggravée par la discontinuité des précipitations généralement intenses et brèves. Le vent dominant, la Tramontane, souffle 150 à 200 jours/an avec une action néfaste des embruns salés sur le substrat et les végétaux avec en particulier une érosion alvéolaire liée à la désagrégation du substrat par le sel. Ces conditions exceptionnelles ne se retrouvent pas ailleurs sur la côte française de Méditerranée à l'exception des Bouches du Rhone qui sont soumises au Mistral, mais la nature des sols est différente, siliceuse dans le Roussillon et calcaire près de Marseille. Certaines espèces halophiles sont communes aux deux endroits, mais on note la présence d'espèces dites endémiques, c'est-à-dire exclusives dans chacun de ces deux sites.
Les conditions particulièrement pénibles vont empêcher la végétation traditionnelle de s'installer et seuls les stades pionniers de la succession floristique, les plus résistants et/ou les moins exigeants du point de vue écologique, vont pouvoir s'installer. Dans le cas de la frange halophile, la dureté des conditions locales – vent, sel, chaleurs estivales, dessèchement, érosion d'un sol non protégé – stoppe la série évolutive à un stade pionnier appelé subclimax ( = stade final d'une série tronquée). Cette ceinture littorale possède une végétation stable en équilibre avec les conditions imposées par son environnement.
La composition du noyau d'espèces présentes et vraiment caractéristiques (autour de 10/12) fluctue autour d'un état-type qui est le plus fréquemment réalisé ( les 10/12 ne sont pas toujours rassemblées) en liaison avec la microtopographie du substrat utilisée au mieux par chaque espèce. Il est évident que cette flore d'une extrême originalité est constituée d'espèces protégées.
Avec le climat (en continu) et l'exposition aux embruns (par épisodes), le facteur écologique décisif est la roche-mère: la texture des micaschistes métamorphisés permet l'existence de fissures qui permettent aux racines d'aller chercher l'eau en profondeur (analogie avec la vigne). Cela sélectionne les sites d'implantation de la flore qui ne peut fournir qu'une couverture végétale incomplète dont les plantes annuelles sont quasiment absentes hormis quelques espèces très fugitives au printemps. Seules les formes ligneuses sont capables de se maintenir durablement face aux conditions très agressives du biotope. Et encore ils sont déformés par le vent (phénomène d'anémomorphose), plaqués au sol en galettes ou en coussinets, brûlés par le sel du côté exposé aux embruns.
La succession verticale des espèces.
Les roches les plus basses reçoivent de plein fouet les assauts de la houle pendant les fortes tempêtes. Au-dessus du domaine marin, il existe une frange dite « désertique » car totalement décapée par les plus grosses vagues lors des coups de mer.
Au-dessus apparaissent les plantes pionnières qui profitent des premières parcelles de terre meuble stockées dans les fissures et les alvéoles. La flore qui s'incruste dans les fissures par ses racines participe à l'érosion des sols. A partir de ce niveau, les espèces végétales vont se répartir verticalement selon un agencement lié à leur résistance aux embruns.
La première plante qui apparaît est le Chrythmum associé à quelques autres espèces telles que Armeria, Limonium puis Camphorosma, Daucus, Plantago subulata ou Thymelea hirsuta. Ces espèces vont monter en altitude tant que le tapis végétal est ouvert.
On constate ensuite une apparition progressive de quelques espèces du maquis résistantes au sel telles que le Romarin dont les « buissons tordus » sont plus ou moins brûlés du côté mer. Sans être réellement halophiles, elles sont relativement résistantes au sel et à la sécheresse. On trouve l'Immortelle, le Séneçon des cimetières, les Polycarpon, Ononis, Dianthus.
La forme en coussinet est générée par la brûlure des extrémités des jeunes tiges quand elles dépassent la protection de la touffe. Ainsi la plante est de plus en plus dense mais grossit très lentement.
On peut remarquer que les espèces typiques des bas niveaux montrent leur pleine adaptation anatomique et physiologique aux contraintes imposées par le soleil, le vent et le sel en étant capables de fleurir en pleine canicule.
Quand la végétation devient plus dense, les espèces pionnières disparaissent et on passe à un biotope herbeux à Brachypodium ramosum, puis à un biotope arbustif (maquis- garrigue) avec des espèces « terrestres ».
Maquis et garrigue sont maintenant considérés comme des paysages méditerranéens typiques. Ce ne sont en fait que des solutions de remplacement ayant suivi la ruine quasi-totale de la forêt originelle par les humains.
J.Y. Bodiou